Quartier Japon (QJ) : Pour resituer les choses, j’interviewe plusieurs mangaka de Quartier Japon, avec chacun une expérience différente, pour permettre à chacun d'exprimer sa réalité de dessinateur ou d’apprenti dessinateur, pour permettre à nos élèves mais aussi à tout autre lecteur enfant ou adulte, de voir différentes facettes de la réalité d'un mangaka
À ce jour j'ai commencé par interviewer Thomas (Portrait d’un mangaka 1) qui a déjà édité des mangas qu'il a réalisés, également Jordan (Portrait d’un mangaka 2) qui est plutôt illustrateur-professeur de manga et également Nacira (Portrait d’un mangaka 3), qui intervient aussi sur les conventions et fait des cours
Peux-tu te présenter rapidement, Shiva, et nous expliquer quel est ton lien avec le manga et ce que tu as déjà fait avec Quartier Japon ?
Shiva D. (SD) : Je m'appelle Shiva, 16 ans, et ça fait maintenant plusieurs années que je fais du dessin le manga. J'ai commencé à peu près vers l’âge de 9 ans en lisant des mangas, comme tous mes amis, puis ma mère m'a inscrit à un stage de dessin manga avec Quartier Japon et c'est là que j'ai découvert l'univers du dessin manga. J'avais beaucoup accroché pendant le stage, puis j'ai décidé de commencer des cours à l'année dans cette même école.
Un an plus tard, j'ai continué cette trace et, cette fois-ci, j'ai continué de prendre des cours dans le cadre de la formation avancée de mangaka de Quartier Japon. Cette formation, cela fait 2 ans que j’y participe et, cette année, j'ai aussi commencé à donner des cours de dessin, bien que je me sois décroché du style manga dans mon travail quotidien. J'adore néanmoins revenir à ce style en donnant des cours, pour donner envie à d'autres de suivre cette voie.
J’ai ainsi donné des cours dans le cadre de cours à Quartier Japon, mais aussi dans le cadre d'anniversaire manga pour des enfants. Je participe aussi à des festivals où je réalise des portraits mangas, pour des clients.
QJ : Par la suite, est-ce que c'est une activité dont tu voudras en faire ton métier ? Ou tu envisages ça comme une passion ? Ou tu envisages de faire ça un petit peu avec un autre métier à côté ? Comment tu vois les choses ?
SD : Dans un premier temps, j'aimerais passer un bac général pour me laisser une solution de repli, puis faire des études d'art appliqués pour ensuite en faire mon métier. J'aimerais ainsi soit faire de l'illustration, soit continuer à enseigner et faire des commandes. Comme du graff, par exemple, que j'aimerais bien faire.
QJ : Dans ce début d'activité de professeur, peux-tu nous en parler un peu plus ; est-ce que ça a été facile ? Est-ce que tu y es allé avec la peur au ventre ?… Expliques-nous tes premiers pas dans cette activité professionnelle.
SD : Ma plus grande peur, et ça l'est encore, c'est de me retrouver face à des gens qui me dépassent très largement au niveau du dessin. Pour l'instant, c'est arrivé quelquefois mais sans plus et chaque fois j'avais des choses à leur apprendre ; donc ça ne m'est pas encore trop arrivé et pour l'instant tout va très bien.
QJ : Et des choses agréables ? Est-ce que c'est une activité qui t'intéresse, qui te plaît et qui t'apporte quelque chose ?
SD : C'est une activité que j'adore. J'adore l'idée d'apprendre des choses à des gens et de les voir progresser, même en un seul cours. J'aime bien voir qu'au début du cours, ils ont effectivement un niveau relativement bas ou moyen et que, de ce niveau, ils arrivent à produire quelque chose de beaucoup plus complexe à la fin du cours. Donc, oui, j'aime beaucoup cette activité.
QJ : D'après toi, quand tu donnes les cours et que tu vois tes élèves progresser, qu'est-ce qui fait qu'ils vont progresser ou en quoi tu vas les avoir aidés à progresser ; tu as une idée ?
SD : Généralement, puisque j'ai surtout donné des cours à des personnes qui n'avaient jamais pris de cours de dessin, je les ai aidés en leur donnant une base et en leur donnant des choses auxquelles se référer, pour pouvoir construire leur dessin. Ca leur permet, du coup, de pouvoir mieux positionner toutes les différentes parties d’un portrait, par exemple, et par la suite de pouvoir progresser tout seul
Je leur donne souvent des conseils, comme de tenir des carnets de croquis, de s'entraîner sans relâche même si au début ce n'est pas concluant…
QJ : Donner des cours, cela a-t-il ensuite des conséquences sur toi, sur ta vie de tous les jours, dans ton comportement et ta vie, par exemple au lycée ?
SD : Sur ma vie de tous les jours, je ne sais pas mais en tout cas, dans ma vie de dessinateur, ça a une influence, puisque ça me permet de revoir certaines bases et de pouvoir apprendre au final grâce à des choses que font certains élèves.
QJ : Est-ce que c'est aussi une activité qui, humainement, te permet des choses ; par exemple gagner de la confiance en toi, de prendre plus facilement la parole en public ?...
SD : Honnêtement, je n'ai jamais eu de problème pour prendre la parole en public. En revanche, ça m'a apporté beaucoup au sens où je me suis plus senti reconnu ; ça m'a apporté un sentiment de reconnaissance. De voir que, moi aussi, je peux apprendre des choses à des personnes et qu'elles sont impressionnées… !! ; à la fin du cours, ça fait chaud au cœur !
QJ : A présent que tu as une petite expérience d'enseignant ou plutôt de guide pour d'autres personnes, tu aurais des conseils à donner à quelqu'un qui n'a jamais commencé à donner des cours ou à quelqu'un qui aimerait le faire mais qui n'ose pas ?
SD : Tout d'abord, il faut être très sûr de soi ou essayer de le montrer, parce que, si tu n'es pas sûr de toi, les élèves ne vont pas te prendre au sérieux. Ensuite, il ne faut pas hésiter ; même si l'élève a l'air d'avoir un meilleur niveau que toi, en dessin par exemple, tu as toujours des choses à lui apprendre.
QJ : Je suis impressionné parce que tu as 16 ans, tu es en fin de seconde et déjà tu réponds facilement et tu développes de toi-même, sans que j'aie à te le demander. Tu enchaînes sur ton explication, alors même que j'étais en train de me dire « Si il me parle pas davantage de ça, je vais lui demander d’approfondir ». De toi-même, tu continues et tu me donnes les explications ; je suis vraiment surpris !
Vois-tu autre chose à nous dire ? Par exemple, en tant qu’élève, puisque tu es au lycée, le fait de donner des cours est-ce que ça te permet des choses en plus, par rapport à l'époque où tu ne donnais pas de cours et quand tu n’étais qu’élève ?
SD : Oui, ça me permet de voir certaines erreurs que je fais dans mes dessins. Par exemple, certains positionnements de détails que je ne verrais pas forcément sur mes dessins, mais que je vois sur celui d'un autre. Ca me permet en plus de faire des recherches et de davantage travailler, afin de pouvoir leur donner des cours intéressant
Enfin, ça me permet de vouloir pousser mon niveau au plus haut que je peux, pour être légitime en tant que professeur.
QJ : Également est-ce que ça te permet d'avoir un regard différent sur, par exemple, tes professeurs de manga mais d'une façon générale sur tes professeurs au lycée ?
SD : Oui, ça me permet d'avoir un regard très différent, surtout sur mes professeurs au lycée. Parce que je comprends maintenant le temps qu'il faut pour préparer un cours et l'énergie que cela prend. Donc, c'est beaucoup plus de respect pour mes professeurs que j'en avais avant !
QJ : Un autre aspect qui peut être compliqué, c'est la gestion des élèves dans les cours que tu donnes. As-tu rencontré des difficultés à ce jour ? C'est quelque chose que tu fais naturellement ou est-ce que, des fois, c'est un peu compliqué ? Tu aimerais en parler à quelqu'un, qui a plus d'expérience, pour qu’il te donne des tuyaux ?
SD : Pour l'instant, ça ne m'est arrivé qu'une seule fois, d'avoir un groupe un peu compliqué. Mais j'ai réussi à gérer, en tapant un petit peu du poing sur la table on va dire, mais tout le temps en restant calme.
C'était un anniversaire, avec des enfants de 9 ans. Quand il y a un élément perturbateur dans un cours, ce sont tous les autres qui suivent. Il a donc juste fallu que je calme cet élément perturbateur et tout s'est bien passé par la suite. Surtout se concentrer sur l'élément le plus perturbateur !
Au tout début du cours, je lui ai dit que c'était pas du tout respectueux, son comportement, non pas pour moi mais pour son ami qui l'avait invité et aussi pour ces autres amis qui voulaient apprendre à dessiner. Si lui voulait apprendre, ce n'était pas comme ça que ça se passe. S'il n’avait pas envie d'apprendre, il pouvait aller sur une table au fond de la classe et ne pas déranger les autres. Il m’a écouté et il s'est calmé.
QJ : Vois-tu d'autres choses qui se sont passées pendant les cours et qui t'ont marquées, dans un sens comme dans un autre ; des choses que tu n'aurais pas attendues ?
SD : Il y a un élève qui m'a donné son dessin à la fin du cours ! Un élève venu pour un anniversaire il y a deux semaines. J'ai trouvé ça trop mignon ! Surtout qu'il avait fait vraiment des efforts sur son dessin pendant une heure et demie. Donc, j'ai trouvé ça très sympathique.
QJ : Est-ce que c'est une activité qui va te donner envie de donner des cours plus tard, dans le manga ou dans autre chose ?
SD : Oui je pense, dans le dessin ; pas forcément dans le manga, mais dans le dessin je pense. Mais pas dans un environnement scolaire, dans le sens collège ou lycée, mais plus pour des gens qui sont là pour apprendre le dessin. Pas pour des gens qui sont là, forcés à devoir apprendre le dessin parce que c'est marqué dans le programme !
QJ : Et vis-à-vis de ta famille de ta maman notamment avec laquelle j'ai été en contact ? Qu'est-ce qu'elle en pense ? Et toi, tu te présentes comment avec ta nouvelle casquette de professeur ?
SD : Elle est contente de la situation et elle voit que ça devient quelque chose de très important dans ma vie et que je commence à monter un peu l'échelle !
Mon père, quant à lui, comprend que ce n'est pas juste un hobby mais que cela peut devenir un métier plus tard. J'ai aussi une sœur, de 3 ans plus jeune, et elle aime beaucoup ce que je fais, mais on n’en parle pas beaucoup
Mes amis, eux, ils sont plutôt généralement très impressionnés quand je leur dis que je fais des cours et ils comprennent que je ne puisse pas sortir avec eux quand c'est pour ce genre de situation.
J'ai vraiment très très peu d'amis qui dessinent donc, pas spécialement, ça ne leur donne pas envie de donner eux aussi des cours ou de me voir faire.
QJ : As-tu autre chose à rajouter, d'une façon générale ?
SD : Je n'avais pas prévu le temps que ça prend pour préparer un cours. Gérer le temps d'un cours, je n'avais pas prévu cette difficulté mais je me suis habitué.
QJ : Comment tu t'es habitué à gérer le temps et qu'est-ce que tu as mis en place pour t'aider à savoir comment y parvenir ?
SD : Ce que je fais, c'est qu'avant chaque cours je répète au moins deux fois le cours, en prenant des critères à chaque fois différents. Par exemple, un cours avec un élève perturbateur ou un élève qui serait plus fort que je ne le suis, ou sinon avec un élève qui ne serait vraiment pas au niveau et pour lequel il faudrait que je simplifie le cours. Un autre exemple, au début duquel je m’aperçois d’un problème de matériel.
Cela a été le cas une fois quand j’animais un cours pour un anniversaire : les enfants n'avaient pas pris le matériel et donc le père a dû aller chercher le matériel et j'ai donc dû commencer à donner le cours sans que les enfants ne puissent dessiner.
QJ : Dans ces cas-là, il y a une petite montée d'adrénaline ou tu fais ça naturellement ?
SD : Avant et après le cours, la montée d'adrénaline. Comme elle est avant le cours, ça fait que je suis plutôt calme pendant le cours. Mais avant et après, je suis plutôt stressé !
Comment je fais pour gérer ce stress ?
Je me dis que, dans tous les cas, ce n'est pas ma première fois et que ça va bien se passer et que je l'ai déjà répété ce cours.
Je pense une autre anecdote d'un cours qui s'est relativement mal passé. Ce n'est pas vraiment qu'il s'est mal passé, mais plutôt que j'ai mal prévu mon cours et donc j'ai dû un peu improviser sur le tas.
C’était un samedi où j’avais 3 ateliers, chacune de 2h, pour trois groupes différents, avec le même contenu.
C'était un cours sur le tag et le cours que j'avais prévu ne durait absolument pas les deux heures du cours ; donc j'ai dû improviser pour le premier groupe. Par contre, pour les deux groupes suivants, j'ai ensuite prévu une activité supplémentaire pour permettre de finir vraiment ce cours en 2h.
Pour le premier groupe, je me suis rendu compte au bout de 20 minutes de cours que ça n'allait pas coller et que ce que j’avais prévu de faire ne prendrait qu’1h20 et ensuite j'ai dû improviser. Et j'ai demandé aux élèves de faire un second graff, ce qui n'était pas forcément la meilleure solution parce que c'était répétitif après qu'ils venaient d’en terminer un premier !
Mais pour le deuxième et le troisième groupe, je leur ai dit de refaire le graff qu'ils avaient préféré, parmi ceux présentés par les autres élèves, mais en utilisant une technique avec un paysage à l'intérieur, ce qui donne un mélange le réalisme calme et le street art.
Donc, il y a eu des résultats très sympas et les élèves ont plutôt beaucoup aimé.
QJ : Justement, au moment où tu te rends compte que le cours que tu as préparé n'allait pas tenir et que tu allais devoir prévoir autre chose, comment ça s'est passé dans ta tête, dans ton corps ? Ton idée d’improvisation t’es venue rapidement ou tu as réfléchi pendant que tu faisais cours ou tu as commencé à paniquer… ?
SD : Après les 20 premières minutes du cours, quand je me suis rendu compte que ça n’allait pas tenir, j'ai continué à donner mon cours en essayant de rajouter des détails à ce que je disais, pour faire durer le cours. Je n'ai pas tout de suite trouvé l'idée du paysage ; je l'ai ensuite trouvé au second cours pendant ma pause déjeuner.
QJ : Je trouve c'est vraiment riche et très parlant ton interview ; on s'y croit. Comme je te l'ai dit tout à l'heure : pour quelqu'un de 16 ans, en seconde, je trouve que tu maîtrises déjà parfaitement la langue, la communication à l'oral et l'interview et que c'est très agréable d'échanger avec toi. Ca ne correspond pas forcément à l'idée que l'on peut se faire d'un jeune de 16 ans !
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