
Keishi (58 ans - En France depuis 29 ans)
Vendredi 30 octobre 2015, la discussion que j'avais avec Keishi portait sur les différences entre nos deux sociétés, japonaise et française. En quoi, nos sociétés et leur organisation influencent-elles leurs populations respectives, leurs caractères et leurs façons d'être ensemble et avec autrui ?
La société japonaise, m'apprit Keishi, est basée essentiellement sur une organisation de type maternelle et maternante : l'enfant, particulièrement le nouveau-né, est au centre de la famille, de la plus petite cellule sociale. La mère est au service de son enfant afin de lui apporter les conditions d'une vie la plus confortable possible. Par conséquent, elle s'organise pour lui apporter le plus de bien-être possible, tout en lui évitant de connaître d'éventuelle source de stress. De même, la société japonaise est basée sur ce modèle, au sens où elle est organisée pour apporter bien-être à sa population tout en lui évitant du stress. C'est donc une société de services, unanimement reconnue mondialement.
Quand un bébé est malade, toute la cellule est autour de lui, pour lui apporter rapidement les conditions à son prompt rétablissement. Pendant les premières années de sa vie, le nouveau-né puis le jeune enfant dort avec ses parents, entre ses parents. Il est l'objet de toutes les attentions et est protégé comme le bien le plus précieux. Récemment, quand l'entreprise Toshiba a annoncé des licenciements massifs d'employés, d'autres groupes parmi lesquels Sony, ont annoncé l'embauche de ces mêmes employés.
Le jeune diplômé est, bien que cela tende à s'atténuer de nos jours, repéré par son futur employeur avant même l'obtention de son diplôme, embauché dès la fin de son cursus universitaire. Au sein de l'entreprise, il est ensuite complètement pris en charge et formé par l'entreprise, avant de, petit à petit, pendre de l'avancement tout au long de sa carrière, jusqu'à son départ à la retraite. L'avancement n'est pas un avancement au mérite, mais automatique, selon l'âge de la personne. Toute une même classe d'âge obtient le même type d'avancement, en même temps, au sein de sa propre entreprise comme au sein de l'ensemble des autres entreprises du Japon.
Au sein des habitations, la frontière entre le dedans et le dehors est clairement marquée : on quitte ses chaussures dans l'entrée de la maison, on enfile des pantoufles pour l'intérieur de la maison, on change de vêtements, on se lave les mains et même, encore maintenant parfois, on se gargarise. La maison est un espace sensiblement homogène (des tatamis, un parquet, une disposition similaire se retrouve dans l'ensemble des pièces), différent de nos maisons occidentales, plutôt hétérogènes (chaque pièce a son environnement bien distinct). D'un côté, cette séparation bien marquée dans les esprits. De l'autre, à la place de murs en pierre percés de quelques ouvertures, la maison traditionnelle japonaise est faite de fusuma et de shôjis, des cloisons peu épaisses et amovibles. Des cloisons externes et internes, qui laissent les habitants à portée d'oreille des voisins. Chacun sait ce que fait son voisin, chaque surveille ce que fait son voisin. Chacun sait que son voisin est attentif à lui (moins maintenant).
Depuis les temps anciens, les Japonais sont habiles pour prendre du monde extérieur ce qu'ils jugent utiles pour leur vie. Ensuite, ils l'adaptent à leurs besoins et à la particularités de leur fonctionnement, et enfin, ils restituent cette version améliorée au reste du monde. Par contre, dès lors qu'il n'y a plus cet exemple, ce "ce à partir duquel on va prendre ce que l'on va ensuite transformer et assimiler", le Japon est perdu. Le Japon est certes fort pour adapter et améliorer, mais pour créer à partir de rien ? Malgré tout, il compte un nombre significatif de Prix Nobel.
Le Japon n'a jamais eu à redouter d'invasion de population extérieure du fait de sa configuration géographique : un pays entouré d'eau. Les règles, règlements, et autres codes sont établis et respectés par les Japonais, car ils sont avant tout faits pour créer les conditions d'un environnement maternant propice aux conditions d'un bien-être, d'un mieux être de chacun. Ils sont donc vécus comme un outils créateur de mieux-être.
Le shintoïsme côtoie le bouddhisme au niveau de la vie de chacun. Qui plus est, le shintoïsme est une religion qui n'impose pas de règles : un moine peut boire de l'alcool, se marier... Le shintoïsme correspond plutôt à "l'atteinte et le maintient" d'un certain état intérieur basé sur l'harmonie. La langue japonaise, dans son écriture, comprend différents modes d'écritures : les idéogrammes d'origine chinoise, les syllabaires hiragana et katakana, et le système de transcription alphabétique, se côtoient les uns les autres. De même, une personne japonaise peut tout à fait avoir sur un même sujet, deux avis ou du moins deux visions différentes, sans que cela ne pose de problème. Egalement, elle peut avoir, à un moment donné une vision des choses puis, à un autre moment, une autre vision, une autre lecture, un autre avis.
Dans les religions au Japon, le Shintoïsme et le Bouddhisme, il n'est pas question de vie après la mort, au sens chrétien. Ainsi, le Japonais ne se retrouve pas dans un état d'espérance d'une vie meilleure après la mort, pas plus que dans une position d'éternelle recherche d'atteinte d'un paradis ni encore dans un état d'esprit qui l'amènerait à développer une vision fantasmée de ce qu'est le Paradis et la vie après la mort. Le Japonais, non soumis à cette production qui fait tendre vers ce que l'on n'a pas dans l'immédiat mais que l'on aimerait obtenir plus tard, vit davantage dans l'instant présent, sur le moment. Il est donc logiquement pragmatique.
De même, les religions japonaises ne font pas référence à une divinité toute puissante et non représentée. Dans le Shintoïsme, l'état de divinité se retrouve dans toutes choses, du grain de poussière au brin d'herbe... Dans le Bouddhisme, le Bouddha est un être humain, qui a vécu sur Terre autrefois, avec donc une représentation représentée par les artistes de l'époque. Le Japonais n'est donc pas porté à se représenter cette divinité ni donc à solliciter et à développer cette capacité de l'esprit qui pousse à la représentation psychique.
De tout temps, le climat semble avoir été relativement suffisamment clément au Japon pour permettre à ses habitants de récolter de quoi subvenir à leurs besoins. De même, du fait de l'organisation sociale des différentes communautés japonaises, organisées sur un mode maternel où l'instance supérieure veille au bien-être de ceux dont elle a la charge, au même titre que la mère, la population a été relativement non sollicitée à anticiper, à vivre dans le futur. Ce qui renforce l'ancrage à l'instant présent, à la vie immédiate sur le moment et, dès lors, à mobiliser ses ressources pour améliorer l'existant. Les Japonais sont très forts dans ce domaine.
Compléments ajoutés par Keishi, après l’envoi du précédent texte, pour confirmation.
1. J’explique les particularités du Shintoïsme, du Bouddhisme et du Confucianisme. Dans le bouddhisme japonais, les préceptes sont devenus très faibles. C’est un effet du Shintoïsme, je pense. Comme en Corée et en Chine, le culte des ancêtres est important. Au Japon, il est mélangé de Shintoïsme et de Confucianisme.
2. J’explique au sujet du groupe, de la communauté. La communauté est basée, dans les villages, sur un système de surveillance mutuelle.
3. Depuis l’apparition de la pensée newtonienne (fin XVIIe), on a de plus en plus pensé les sociétés occidentales en tant qu’entités homogènes. Les maisons, au Japon, ne sont pas un espace homogène. On dit « qu’un fantôme se cache dans les toilettes ».
4. Dans un article que j’ai écrit pour le N° 3 de la revue « 水路すいろ – Suirô », j’avais donné ce titre « L’individualisme de la France et le Mondialisme du Japon ». Le mondialisme est en opposition avec la notion de Paradis des religions chrétiennes et de l’Islam. L’idée de « monde » renvoie « le monde actuel tel qu’il est à l’instant présent ». Le monde tel qu’il est à l’instant présent ou la société telle qu’elle est sur le moment, c’est le Paradis. C’est pour cette raison que le Japon est une « société de services ».
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