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  • Quartier Japon

Amandine G. – de l’aéronautique au manga

Dernière mise à jour : 1 févr. 2022

Amandine, née en 1991 (30 ans)


Interview le 02 décembre 2021.


J’ai choisi de présenter Amandine parce qu’elle est en situation professionnelle, dans un domaine sans aucun rapport avec le manga, un groupe de taille mondiale dans l’aéronautique.

Ce qui suscitait ma curiosité, chez elle, et ce qui m’intéressait à partager notamment avec les plus jeunes, c’est « Comment une adulte, en poste dans une grande entreprise, vient prendre des cours de manga tous les mercredis soirs, après le travail ? D’autant plus, finalement, qu’elle souhaite faire du manga son activité principale, en laissant sa vie professionnelle actuelle plutôt standard ? ».


Quartier Japon : « Tu es qui Amandine ? »


Amandine G. : « J’ai eu 30 cette année. Je suis née à Paris. Mes parents ont beaucoup bougé quand j’étais petite ; j’ai vécu à Paris, près de Lyon, Orléans, en puis dans la banlieue parisienne, surtout dans le 91. J’ai été élève au Lycée dans les maisons d’Education de la Légion d’Honneur, à Saint-Denis, car mon grand-père a eu la Légion d’Honneur. Puis j’ai eu mon bac S et j’ai fait une première année de médecine qui ne m’a pas plu.

Comme je ne savais pas quoi faire, j’ai voulu faire une pause dans mes études pour voir autre chose. J’ai travaillé chez Uniqlo (magasin de vêtements japonais) à Opéra en 2011. J’y ai travaillé de 2011 à 2014. J’étais déjà attirée par la culture japonaise, donc j’étais super contente d’y avoir été embauchée ; j’ai eu des collègues géniaux avec qui j’ai gardé contact et je me suis faite des amis japonais grâce à Uniqlo.

Au début, c’était pendant une année sabbatique, puis j’ai continué chez Uniqlo à temps partiel, pendant que j’étais en licence « économie et gestion ».

Mais après ces deux années de licence (que j’avais pris par défaut aussi), comme ça ne m’avait pas plu non plus, je n’ai pas poursuivi. J’étais dans une impasse.


Aussi, je m’étais alors posé la question« qu’est-ce que j’aime ? »

Bien sûr, il y avait le dessin, ma passion première depuis toujours, mais aussi l’étranger pour lequel j’étais aussi attirée. Donc, j’ai fait du commerce international dans le cadre d’un BTS CI en alternance. Mon compagnon m’y a poussée, je ne connaissais pas bien les BTS/DUT, je n’avais donc jamais osé m’y orienter. Peut-être de la pression que j’avais toujours eue de faire « la fac la fac ! » ou une Grande Ecole (mais trop chère pour moi) ? C’est à cette période, que je me suis orientée vers l’aéronautique : mon compagnon y était déjà et m’a aussi poussée dans ce sens. J’ai principalement répondu à des annonces dans l’aéronautique, et j’y ai été prise en tant qu’apprentie « administration des ventes », de 2014 à 2016. De 2016 à 2017, j’ai fait une licence de Commerce International, dans la continuité de mon BTS CI.

J’ai rapidement été embauchée par cette entreprise, et j’y travaille toujours ».


Q. J. : « Comment ton intérêt pour le Japon et la manga a commencé ? »


A. G. : « Mon intérêt pour le dessin, comme pour beaucoup de personnes, est arrivé assez tôt dans mon enfance. J’étais timide et j’avais du mal à m’exprimer oralement. A l’âge de deux/trois ans, cette expression passait plus par le dessin, que par la parole.

Je ne viens pas d’une famille d’artiste, dans le sens où ma mère travaille dans la santé et mon père dans la comptabilité. Mais ma mère en particulier m’a toujours encouragée à faire du dessin (plus jeune, elle était passée par différentes expressions artistiques comme le piano, le dessin…). Elle m’avait d’ailleurs inscrite à des cours de peinture quand j’étais en 6e. D’ailleurs, je l’en remercie car sans elle, peut-être que je n’aurais osé aller là où j’en suis, peut-être que je n’aurais pas développé toutes ces facultés en dessin.


J’ai appris l’existence du mot « manga » au collège. En primaire, je regardais des animés japonais bien sûr comme « Sailor Moon », « Card Captor Sakura », « Pokemon » etc., mais c’est au collège que j’ai pris conscience de la culture populaire japonaise ; c’était dans les années 2000.

C’était l’époque des shonen et le début de « One Piece », « Naruto », « Bleach » ; plutôt axés pour les garçons. Dans la cours de récré, on s’échangeait les mangas. Plutôt, les garçons me prêtaient leurs mangas. J’ai eu mon premier manga tardivement. J’en empruntais aussi beaucoup à la bibliothèque, et c’était plutôt des manga matures comme « Nana » ou « Comme elles ».

J’ai commencé à avoir des correspondants étrangers très tôt, via des magazines d’abord, puis internet. Des correspondantes plutôt européennes au début… ; j’écrivais en anglais principalement. Un bon moyen d’apprendre cette langue.

A la fin du collège, j’ai commencé à m’intéresser au Japon : la musique japonaise (J-Pop, J-Rock, J-Rap), les J-dramas et j’ai eu des correspondants asiatiques venant de Chine, Japon, Corée du Sud, Vietnam; Je suis restée très amie avec ma correspondante japonaise de l’époque, je suis même allée à son mariage au Japon en 2018. C’est aussi à cette période-là que j’ai commencé à dessiner des planches manga (que j’ai toujours !). J’ai continué au lycée, mais un peu moins, car il y avait mes études en S et j’ai aussi commencé à m’intéresser à la Corée du sud et la vague Hallyu (K-Pop, K-Drama…) ».


Q. J. : « Pourquoi le Japon ? »


A. G. : « Ce sont les manga et les animés qui m’ont ouvert la voie, puis le fait de correspondre avec des personnes venant d’Asie et particulièrement du Japon. C’était donc d’abord par le biais de la culture populaire japonaise. Ensuite, par la culture traditionnelle et historique. Notamment, je suis une grande fan de la période de la réunification du Japon (Oda Nobunaga (1534 - 1582), Toyotomi Hideyoshi (1537 - 1598), Ieyasu Tokugawa (1543 - 1616)). Désormais, je m’intéresse à la vie quotidienne des Japonais et je lis beaucoup de livres d’actualité sur ce sujet. Mes amis japonais aussi m’ont beaucoup ouvert les yeux sur la réalité au Japon, et appris beaucoup de choses.

Pour me féliciter pour mon BAC, mon père m’a offert mon 1er voyage au Japon en 2010. J‘ai séjourné 1 mois chez ma correspondante japonaise, et j’ai pu rencontrer ses amis ; sa famille, vivre le quotidien d’une famille japonaise. Une réelle chance et de fabuleux souvenirs. Ce n’était pas simple à l’époque car j’étais à la campagne près de Nagoya, peu de personnes parlaient anglais, et les smartphones n’existaient pas ; mais je me suis débrouillée et j’ai adoré ».


Q. J. : « Pourquoi ne pas avoir fait un métier en rapport avec le Japon ? »


A. G. : « Ca a été compliqué au niveau de mes études après le BAC. Je vivais encore chez mes parents, et ils étaient strictes à ce sujet « d’abord, les études et ensuite, tu pourras faire ta passion ». Donc, je ne me suis jamais orientée vers ma passion. Également, par peur de ne pas réussir, de ne pas percer…

Je ne croyais pas assez en mes capacités pour pouvoir être reconnue pour mon travail. J’ai donc choisi de m’orienter vers des études menant à des métiers stables, même si, comme ce n’était pas ma passion, ce cheminent fut laborieux. A 20 ans, j’ai eu mon 1er appart pour me rapprocher de la fac. J’avais un loyer, mon permis et mes études à payer ; donc pendant pas mal d’années, j’ai mis le dessin de côté ».


Q. J. : « Après, comment tu t’y es remise ? »


A. G. : « En 2017 dès que j’ai eu fini mes études et eu mon CDI. Une stabilité et plus de devoirs après les cours. Une fois tout cela derrière moi, je me suis dit « Je vais enfin pouvoir me remettre au dessin et recréer des histoires ! ». Il m’a fallu encore 2/3 ans avant de me dire « C’est bien, le dessin en loisirs, à côté du travail, mais pourquoi ne pas en faire mon activité principale et tenter de me professionnaliser ? ». J’étais en couple depuis pas mal d’année, on venait d’acheter notre maison. Je me suis dit, c’est le moment ou jamais. C’est comme cela que j’ai commencé à chercher une école de dessin manga.


Je savais dessiner mais je ne connaissais pas la technique, ayant toujours dessiné au feeling et par observation. Je voulais mettre toutes mes chances de mon côté pour rendre mon travail plus pro.

Personnellement, j’aime faire des illustrations manga, mais j’aime davantage raconter des histoires en manga. Je voulais surtout apprendre les techniques de narration, mais malgré tout, me perfectionner aussi dans l’illustration qui n’était pas mon fort.

J’ai donc cherché des cours de manga sur Paris en 2020. Parmi les écoles qui existent sur Paris, c’est Quartier Japon et son programme qui m’ont tapé dans l’œil ; j’avais donc demandé en premier des renseignements sur la formation « mangaka avancé ».


Q. J. : « Du fait de l’épidémie de Covid, cette formation ne s’est pas ouverte et je t’avais alors proposé d’essayer la formation mangaka classique en septembre 2020. A présent, tu es en cours avec David depuis une année complète et tu entames ta seconde année. Tu veux en dire quelque chose ? »


A. G. : « J’ai appris pas mal de choses et surtout, ce qui était mon gros défaut : la couleur. David m’a fait connaître et m’a appris à utiliser les feutres à alcool par exemple. C’est aussi pour cela que je voulais faire une seconde année des cours de manga, pour compléter la première année. Pour moi, la seconde année, c’est plus une continuité de l’an passé plutôt qu’une redondance, grâce à la diversité des cours de David.

J’ai parlé à David que je souhaitais me professionnaliser et il m’a donné beaucoup de conseils et m’a soutenue. Comme il est dans ce domaine depuis pas mal d’années, toutes ses remarques et conseils étaient pertinents.

Entre autre, j’ai commencé à donner des cours de manga depuis juillet 2021. David, et toi aussi Stéphane, vous m’avez fait confiance en me confiant ces animations. Je vous en remercie ! C’est la 1ere étape d’une grande aventure ! ».


Q. J. : « Donc, tu as commencé à donner des cours et à intervenir depuis juillet 2021 et ce, déjà dans différents cadres (stages et ateliers chez Quartier Japon, en médiathèques, lors de festivals…). C’est quoi comme expérience pour toi ? »


A. G. : « Ca me pousse à me dépasser car, de base, je suis quelqu’un de timide et de réservé.

Je sors ainsi de ma zone de confort et ça, c’est vraiment super !

J’ai toujours apprécié travailler avec des enfants et j’aime beaucoup quand, après m’avoir d’abord dit qu’ils ne savaient pas dessiner, à la fin du cours, ils sont contents de leur réussite en dessin ! Ils peuvent concrétiser des choses qu’ils aiment et être contents et satisfaits d’eux-mêmes. C’est important. Pouvoir être satisfait de ce que l’on fait ou créé, ça contribue à la confiance en soi.

J’aime aussi le partage : on parle de ce que l’on aime, de nos points en commun et ça me pousse aussi à me mettre à jour, par rapport à l’actualité manga ».


Q. J. : « Tu fais actuellement ce que beaucoup voudraient faire, au sens où tu as un travail et que tu veux désormais aller dans le sens de ta passion et vivre de cette passion. »


A. G. : « Je m’ennuie quand je ne fais pas ce que j’aime vraiment. Je viens de changer de poste, au travail, au bout de 4 ans, car je commençais à m’ennuyer après en avoir fait le tour. C’est vrai qu’on a le confort, un salaire régulier, des avantages avec le CE dans ce genre d’entreprise. Mais dans une grosse boite, on a aussi des chefs, des patrons et c’est très hiérarchisé. On doit exécuter des tâches qui deviennent au fil du temps répétitives. On a des clients, mais on les voit rarement. On ne voit le fruit de notre travail qu’aux chiffres annoncés, mais nous ne sommes chacun qu’une petite fourmi dans cette fourmilière.

Mon idée de changer de direction professionnelle est aussi peut-être venue ou s’est amplifiée avec la crise du Covid ; comme chez beaucoup de gens, je suppose : « si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais » je me suis dit… C’est triste à dire, cette crise a accéléré les choses et j’aurais peut-être mis plus de temps pour m’y mettre, si on n’en était pas passé par là.


En donnant des cours, je sors de ma zone de confort. Je suis en première ligne, je suis en face des élèves, je réponds directement à leurs questions, je les guide dans leurs projets. Je n’ai pas l’habitude de faire ça, même à mon travail. Ce n’est pourtant pas la première fois que je donne des cours, mais c’est la première fois pour le dessin, ma passion.

Je voie rarement mes clients, j’ai aussi rarement l’occasion de discuter avec eux tandis que là, en faisant cours de manga, je suis en direct. Je suis plus spontanée, enjouée. Il y a un réel échange en naturel.

Le plus, dans le boulot d’intervenant manga, c’est de faire quelque chose qui m’intéresse et de transmettre. Ca a du sens : je peux voir la finalité de ce que je fais, je vois tout de suite si l’élève est content, s’il a appris des choses ».


L’interview du 02 décembre se termine, faute de temps et nous poursuivons, la semaine suivante, le jeudi 9 décembre 2021.


Q. J. : « Nous en étions au fait d’animer des ateliers. Tu en retires quoi ? Qu’est-ce que ça t’apporte ? »


A. G. : « Qu’est-ce que je pourrais rajouter par rapport à ce que j’ai dit la dernière fois?...

Transmettre quelque chose, faire quelque chose qui me passionne, pour moi c’est donner du sens à sa vie : ça a plus de sens pour moi que d’être derrière un PC et de calculer des marges ».


Q. J. : « Qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce que cela éveille chez toi quand tu donnes des cours ? »


A. G. : « De base, je n’aime pas me mettre en avant, par rapport à mon caractère. Mais dans ce cas précis, de donner des cours de dessin manga, même si j’ai un rôle de mentor le temps du cours, j’aime tellement ça que je vais au-delà de ce qui était autrefois une difficulté pour moi. Comme c’est quelque chose que j’aime faire, ça a l’air naturel, je ne me force pas. Ca me rend heureuse ».


Q. J. : « Comment tu sais que c’est naturel ? »


A. G. : « Parce que je n’ai pas besoin d’effort particulier, ce n’est pas une contrainte.

Quand je donne des cours, j’ai l’impression que je donne plus de ma personne mais avec envie, je suis à cent pour cent, je suis plus dispo. La relation humaine se développe seulement lorsqu’on est disponible à l’autre, lorsqu’on est ouvert à l’autre. Et je ressens tout ça lorsque je donne des cours.

Pour moi, travailler en plus de mon travail en CDI, pour les cours de dessin, je n’ai pas l’impression de faire plus d’efforts, même si ça me prend plus sur mon temps libre.

C’est peut-être parce que c’est le début et que, plus tard, ça changera, mais c’est ce que je ressens là maintenant ».


Q. J. : « C’est la première fois que tu vis ça ? Dans le milieu professionnel ? »


A. G. : « A Uniqlo, j’avais vingt ans, on était tous jeunes mes collègues et moi, on avait des contraintes sur le terrain bien sûr, mais on était contents de se retrouver, de discuter et s’amuse en dehors du travail, de s’entraider (même si, bien sûr, il pouvait y avoir parfois des prises de bec), on avait de la joie d’aller au travail malgré la pression des chiffres journaliers à faire.

En donnant des cours de manga, je retrouve un peu l’atmosphère de cette période. C’est la relation humaine qui change tout ; il faut que j’ai des interactions avec les gens, et que la base de mon travail soit cette interaction.

J’aime aussi les moments de solitude, par exemple quand je fais des portraits manga. Même si je suis quelqu’un de réservée et parfois solitaire, j’ai besoin de relations sociales.

Derrière mon PC, au travail, je suis quand même dans une situation de solitude. Heureusement j’ai des collègues géniaux, mais ce n’est pas pareil. On discute quand on n’est pas sous l’eau, on rigole ensemble, mais une fois replongé sur notre PC, on est seul face à son ordi.

Encore une fois, j’ai pris ce travail pour la sécurité qu’il procurait… Actuellement, la majorité des jobs proposés sont dans le tertiaire, derrière un PC. Des millions d’individus vivent ça au quotidien et ne s’en plaignent pas. Mais désormais, ça me dérange ».


Q. J. : « C’est comme si on aurait deux moteurs : le premier, mobilisé pour travailler et faire sa vie socialement et, le second, qui se trouverait mobilisé et visible quand on se retrouve à faire quelque chose qui nous plaît, quelque chose de naturel, comme tu dis.

C’est cette partie-là, d’avoir deux moteurs, qui est importante à transmettre ou du moins à faire sentir à ceux qui ne sont pas dans cet état, et notamment aux jeunes qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle.

C’est aussi pour cela que c’est intéressant ton témoignage, au sens où il y a, dans ton témoignage, quelque chose à leur transmettre. »


A. G. : « Je dis chapeau à ceux qui s’engagent directement avant ou après le lycée dans ce milieu (du manga en particulier, de l’art en général) sans avoir de stabilité financière, ou de garantie de stabilité financière plus tard. Moi, j’ai fait l’inverse : j’ai ce que je souhaitais avoir qui découlait de cette stabilité ; et maintenant j’aimerais aller plus loin ».


Q. J. : « Tu dis que c’est naturel, quand tu donnes les cours de manga, et c’est pour cela que ça coule logiquement. Désormais intervenante, comment tu peux communiquer cette expérience aux autres élèves et à ton public quand tu interviens ? »


A. G. : « De par mon expérience, par exemple, je ne pourrais pas dire à des jeunes de faire une école d’art, car je ne l’ai moi-même pas expérimenté et donc je ne sais pas comment ça se passe réellement.

Je lui conseillerais, à la place, de commencer à avoir une certaine stabilité ; au moins d’avoir un diplôme du secondaire. Car certains jeunes sont passionnés de dessin, d’art, mais, par la suite, ils y renoncent pour diverses raisons. C’est donc important d’avoir d’abord un diplôme qui garantisse un travail, si jamais on souhaite changer d’orientation. J’en suis la preuve, j’ai souvent changé de domaines dans mes études, j’ai fait différents jobs ; mais même une passion peut s’essouffler. C’est bien d’avoir différentes expériences professionnelles, de ne pas s’enfermer dans un seul type de domaine.

C’est déjà très bien d’avoir une passion comme le dessin, tout le monde n’a pas de passion ; mais il ne faut pas s’enfermer dedans : il faut que l’on ait expérimenté d’autres aspects de la vie, pour qu’ensuite, quand on dessine, on puisse se servir de ces autres expériences pour raconter des histoires à travers ses œuvres ».


Q. J. : « Quand tu es avec les jeunes, comment tu peux susciter chez eux l’envie de s’ouvrir ou d’écouter leur naturel ? Pour les aider à exprimer leur créativité et à ne pas s’enfermer dans un schéma, dans une reproduction, dans un style ? »


A. G. : « Un écrivain, pour écrire, a besoin de bouger, de voyager, d’expérimenter ; il faut qu’il voit des choses pour raconter quelque chose. Si on essaie de raconter une histoire en ayant seulement lu des mangas, elle sera biaisée. D’autant plus que la culture japonaise et française sont deux cultures différentes, même s’il y a des aspects de la culture japonaise que nous comprenons et intégrons grâce à ces supports cultures. On ne peut donc pas raconter une histoire en ne se basant que sur les mangas que l’on a lus ou des animés que l’on a regardés. Il faut toucher à d’autres activités, sortir, voir du monde, d’autres univers, d’autres cultures, d’autres lieux. Il faut sortir, voir ailleurs, observer son entourage.

Le mythe de l’écrivain solitaire, c’est faux.

Plusieurs fois, on m’a demandé comment on devenait intervenante manga, comment j’en étais arrivée là. Quand je leur dis que je n’ai jamais fait d’étude d’art, certains sont étonnés. Ils pensent que pour être intervenant dans ce domaine, il faut faire une école d’art.

Je suis d’accord, pour se perfectionner dans ce domaine, bien sûr, par l’intermédiaire d’un complément en école de manga, comme l’a fait David pendant un an par exemple. C’est aussi dans cette optique, que j’ai pris des cours chez Quartier Japon : pour apprendre des techniques que je ne connaissais pas.

Mais faire une école d’art pour faire une école d’art, je ne crois pas que ce soit la solution… D’autant plus qu’elles ne se valent pas toutes. Il faut bien réfléchir à son projet professionnel avant de savoir s’il faut se diriger directement dans ce domaine ou bien passer par une autre filière. Ce n’est pas à prendre à la légère, comme je l’ai expliqué plus haut ».


Q. J. : « D’après toi, qu’est-ce qui fait la différence ? »


A. G. : « Tout en étudiant puis en travaillant, j’ai quand même continué à faire de temps en temps du dessin à côté. Je n’ai jamais complètement arrêté, même si mon rythme de réalisation, entre le BAC et ma reprise après mon CDI, était très lent. Je suis autodidacte et, grâce à des années d’observation, d’intérêt pour les cultures japonaises, aux contacts que j’ai pu avoir avec des Japonais, aux lectures et visionnages que j’ai pu faire de manga et d’animés, j’ai pu intégrer inconsciemment une partie des codes du manga, avant d’aller chez Quartier Japon. Un autodidacte, je pense, peut avoir autant de compétences artistiques qu’une personne sortie d’une école d’art, s’il s’est un minimum instruit et intéressé aux codes, et qu’il ait un certain talent bien sûr.

Je ne connais pas les écoles de manga en particulier mais les retours que j’ai eus sur internet ou de mes proches ayant passé par là sont globalement négatifs. Je ne peux cependant pas donner ma propre opinion, n’en ayant pas fait.


Pour faire du manga, je pense qu’il faut quatre qualités :

  • le talent : avoir son style, un petit quelque chose même si on ne dessine pas parfaitement (quoique, le dessin n’est jamais parfait)

  • le travail : c’est la clé de la progression ; tu peux avoir du talent, mais si tu stagnes, tu restes sur tes acquis, tu ne vas nul part… Nous avons tous une marge de progression, dans quelque domaine que ce soit. Il faut travailler pour progresser.

  • la persévérance : il faut continuer à travailler régulièrement et surtout, aller au bout des projets ; c’est un travail d’endurance, pas de vitesse. Jérôme Alquier, qui a dessiné Albator, a persévéré pendant dix ans et, au final, il a réussi. Même si on travaille sur un projet manga pour un concours par exemple, et qu’on pense qu’on a raté la deadline, il faut le terminer pour montrer qu’on est capable d’aller au bout des choses. C’est quelque chose de très recherché par les éditeurs de manga par exemple, qui trouvent beaucoup de jeunes gens talentueux, mais peu qui persévèrent…

  • un peu de chance. Mais si l’opportunité n’arrive pas, il faut la créer : il faut se bouger et ne pas attendre que ça nous tombe sous le nez ».


David, professeur de manga d'Amandine

Interview le 07 janvier 2022, concernant son élève Amandine.


Quartier Japon : « Tu peux me parler d’Amandine ? »


David : « Amandine, ça fait deux ans qu’elle prend des cours ; c’est sa deuxième année. Quand je l’ai eue la première année, j’ai senti en elle qu’elle voulait apprendre, des techniques, et qu’elle avait un objectif. D’ailleurs, elle m’a dit, la première année, qu’elle était à l’origine intéressée par la formation professionnelle de mangaka, car elle souhaitait faire une reconversion et s’orienter dans le domaine du dessin. »


Q. J. : « Quelle personne et quelle élève elle est ? Surtout pour que tu aies accepté de la faire grandir dans son projet ? Pourquoi elle et pas un autre ? »


D. D. : « Amandine, c’est l’exemple de la bosseuse. Elle a tellement cette envie de percer dans le monde du dessin qu’elle consacre tout son temps à dessiner et je lui ai toujours dit que je trouve incroyable son rythme de production du dessin ; qu’elle fait chaque semaine.

Elle fait un travail du lundi au vendredi jusqu’à 17h et même plus – elle fait aussi des heures supplémentaires - et malgré ça, elle trouve le temps de dessiner et d’avancer sur ses projets.

Moi, perso., j’ai beaucoup d’admiration pour ces personnes qui, après une grosse journée de travail, trouvent la force et la passion de dessiner. Moi, après que j’ai donné un cours dans une médiathèque ou dans un hôpital, je rentre chez moi et je me mets dans le canapé. »


Q. J. : « Au-delà de cela, quelle personne et quelle élève elle est ? »


D. D. : « Elle est toujours très régulière au niveau de ses dessins. L’an passé, elle a participé au fanzine de fin d’année de Quartier Japon et j’avais donné un planning de rendu pour faire les planches et elle a toujours respecté ce planning, en me rendant en temps et en heures ce qu’il fallait. Rien que cela, ça montre combien elle est professionnelle et ponctuelle

D’ailleurs, cette année aussi elle participe et j’avais donné aux élèves qui veulent participer au fanzine, de terminer leur story-board pendant les congés de Noël. Elle a été la première à me le donner et à me demander des corrections.

Tout ça, sans parler des dessins qu’elle fait à côté du fanzine : elle a une BD sur Instagram et, chaque semaine, elle poste régulièrement un yonkoma.

A présent que les festivals sont revenus, elle a participé à Paris Manga, cet automne 2021, et elle a fait plein de dessins pour s’entraîner. Je trouve incroyable qu’elle ait le temps de faire tout cela avec en plus d’un travail à côté. »


Q. J. : « Au-delà de cela, concernant les valeurs humaines et de professeur, ses qualités d’enseignante ? »


D. D. : « Ce que j’apprécie chez Amandine, c’est avant tout sa bienveillance : elle est toujours dans l’esprit de mettre en avant ses camarades de classe et ses élèves. Amandine a cet esprit d’équipe et ce côté.

Cette année, on a le projet de participer à des festivals et elle et des camarades du cours du mercredi vont prendre leur propre stand ; ils ne seront pas sur mon stand. J’ai donc chargé Amandine d’être la cheffe du projet et de gérer le groupe. Et elle assure ! : elle gère tout, elle pense à tout et ses camarades sont ravis de leur cheffe. Je trouve qu’elle a déjà la mentalité d’une bonne prof. »


Q. J. : « C’est a à dire ? »


D. D. : « Elle sait gérer un groupe, elle sait comment mettre en avant tel élève par rapport à son style (de dessin et sa personnalité).

Quand je lui ai proposé de donner des cours, on a fait une simulation pendant 30mn, avec le cours du mercredi. J’ai pu y assister et j’ai regardé la réaction des autres élèves et elle ? comment elle se comporte. Elle a réussi à trouver un thème de cours intéressant pour les élèves, elle échange bien avec les élèves, en arrivant à s’adapter selon l’âge et le niveau de chacun. Tous les élèves étaient contents de voir Amandine, leur camarade, passer à l’étape supérieure en donner des cours et ils la boostent et la motivent bien.

Quand elle a donné son premier cours à Quartier Japon, avec moi, un dimanche, j’ai pris des photos d’Amandine et je les ai envoyées au groupe WhatsApp des élèves du cours du mercredi soir. Ses camarades étaient ensuite tous à la féliciter et à la motiver !

C’est cela qui est top : ils sont tellement dans ce soutient par rapport à Amandine !! Elle a une bonne mentalité, une bonne personnalité et on n’a qu’une envie, ses camarades comme son entourage, nous de Quartier Japon : on a envie qu’elle réussisse à atteindre ses objectifs artistiques. »


Q. J. : « Amandine, contrairement à la majorité des élèves, c’est une adulte avec déjà une formation professionnelle dans une grande entreprise. Elle commence à se reconvertir dans ce qui lui plait, le manga. Pour toi, c’est une force pour ses futurs élèves ? »


D. D. : « Oui. Quand elle m’a parlé de ce projet et de cette envie qu’elle a depuis plusieurs années, de vivre du dessin, je me suis reconnu en elle.

A l’époque, j’ai fait des études sans rapport avec le dessin et j’ai commencé à faire des stages dans une entreprise de comptabilité. Comme elle, j’avais cette envie de vivre de ma passion.

C’est aussi pour cela que je lui ai dit : « Pour moi, il faut se lancer, il ne faut pas garder en soi cette envie. Il faut tenter sa chance car sinon, tu risqueras d’avoir des regrets plus tard ».

Même si elle est bien dans son travail, bien avec ses collèges, bien financièrement, est-ce que plus tard, elle ne risquera pas d’avoir des regrets de ne pas avoir tenté sa chance ?

Dans mon entourage, il y a des personnes de plus de 30 ans et c’est leur cas…

Du coup, je lui ai conseillé de faire les choses petit à petit et de ne pas quitter son boulot direct, mais plutôt de s’orienter petit à petit vers ce qu’elle aime et, commencer par donner des cours.

Je sais qu’au départ, ce n’était pas son objet, que de donner des cours de manga, mais je lui ai dit que c’est un tremplin.

Son objectif initial, je crois que c’était faire un manga. »


Q. J. : « Donner des cours de manga, c’est un tremplin ? »


D. D. : « Un tremplin, un pont qui va t’amener à aller vers ton objectif. Car, premièrement, tu vas beaucoup apprendre en donnant des cours et, deuxièmement, tu vas te faire beaucoup de contacts et tu vas te créer ton réseau. Dans ce domaine, tout marche par réseaux, les contacts.

De plus, ce qui est bien quand tu donnes des cours de dessin, c’est que tu ne vas pas donner des cours tout la journée : tout le reste du temps, tu pourras te consacrer à tes projets, à tes dessins.

Chez Amandine, j’ai senti en elle, comme d’ailleurs chez les autres personnes qui souhaitent comme elle faire une reconversion, j’ai donc senti en elle une peur ; est-ce que je vais réussir ?

Tout le monde a des doutes et on ne se sent pas légitime, au début.

Chacun est pareillement confronté à cette même situation : je ne suis pas bien dans ma sécurité actuelle, mais je n’ose pas franchir le pas.

Quand on a des craintes, des peurs, c’est légitime, mais il faut avancer, petit à petit. Il ne faut pas qu’elle quitte pas son boulot d’un coup et qu’elle conserve sa sécurité. Il faut plutôt qu’elle commence à gagner sa vie en tant qu’illustratrice et, qu’à mesure, elle augmente son salaire en tant que prof. et artiste. En même temps qu’elle augmente son activité, elle diminue ses horaires et sa charge de travail actuel dans son travail salarié. Jusqu’au moment où, en tant qu’artiste, elle sera à l’aise et qu’elle gagnera plus que dans son travail salarié. Alors, elle pourra quitter son boulot et ne faire que ça, son travail de prof. et d’artiste. »


Q. J. : « Pour ses élèves, qu’est-ce que sa situation peut leur apporter, comme un plus ? »


D. D. : « Les élèves, en général, mettent le statut d’un prof. comme tout en haut d’un pilier et ils prennent souvent comme exemple les prof. Que ce soit les petits comme les grands, ils adorent connaitre le parcours de leur professeur.

C’est pour cela que je dis souvent à Amandine : « avant de commencer le cours, prends quelque minutes pour discuter avec tes élèves et pour leur parler de ton parcours. Pour que les élèves puissent se rendre compte de comment on arrive à vivre de sa passion. Et pour leur montrer que ce n’est pas impossible, mais bien que tout le monde peut réussir. Pour autant, le parcours est difficile et cela prend du temps, mais avec de la volonté et de la persévérance, on peut réussir. »


Q. J. : « Pour toi, le parcours d’Amandine, cela t’apporte aussi quelque chose ? »


D. D. : « Pour moi, c’est un modèle de persévérance. Croire ainsi en ses rêves et ne pas rester sur ses acquis, ne pas rentrer dans ce moule que la société essaye de nous faire – au sens où la vie, ce serait avoir un job et bosser pour nourrir sa famille. Certes, c’est important, mais si tu n’es pas épanoui dans ton boulot, tu ne seras pas non plus épanoui dans ta vie. Le boulot, s’est une grande partie de notre vie.


Je pense que les élèves, on n’a pas besoin de leur dire ce qu’il faut faire pour être épanoui dans sa passion : ça se ressent et les élèves le ressentent à travers leur professeur quand il fait cours : il aime transmettre, donner son expérience et son énergie et ses élèves ressentent tout cela ; au-delà de le dire.

Je le vois à travers Amandine, quand elle donne cours qu’elle est dans son monde, que cet univers est fait pour elle.

Quand elle a participé à Paris Manga, la première fois - elle était exposante pour la première fois - j’ai vu qu’elle avait plein d’étoiles dans les yeux et qu’elle était épanouie dans son domaine. Même si elle a fait plus de trente portraits dans la journée, ce qui est une charge de travail intente, certes elle était fatiguée à la fin de la journée, mais c’était une bonne fatigue pour elle.


Maintenant, je vois sa motivation à vouloir participer à d’autres festivals et à vouloir avoir son propre stand avec des camarades. Elle ne me l’a pas dit, mais je le ressens à travers elle.

Je pense que les élèves, c’est pareil pour eux aussi : ils le ressentent.

Les élèves le ressentent, que nous les prof., on est heureux d’être avec eux et de faire ce que l’on aime. Rien que ça, c’est une source de motivation pour les élèves, de vouloir faire ce qu’ils aiment et pour qu’ils reviennent dans les cours animés par leur professeur, ici, par Amandine.

C’est ça, ce qui fait la différence entre un bon prof. et un prof. qui fait juste son boulot, qui prend son chèque et qui part après son cours. »


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