La semaine du 20 janvier 2014, était organisée, dans le quartier japonais de Paris, la
« Paris Râmen Week » : une semaine pendant laquelle les Parisiens pouvaient déguster des râmen concoctés par 5 chefs japonais venus spécialement du Japon, pour l’occasion ! Cette initiative avait rencontré un très vif succès, puisque environ 1000 portions de râmen ont été confectionnés et dégustés sur la semaine. Des queues s’allongeaient à chaque repas devant le restaurant, jusque tard dans l’après-midi et dans la soirée !!
J’appris, plus tard, que cet évènement avait été initié par la chaîne japonaise Ippudo, en accord avec différents ministères japonais, afin de tester la popularité des râmen auprès des Parisiens, dans l’optique d’ouvrir ensuite un ou plusieurs de ses restaurants dans la capitale, si l’expérience s’avérait concluante.
Près de 10 années plus tard, il y a 3 restaurants Ippudo, plutôt haut de gamme, à Paris.
A cette occasion, j’avais été embauché sur 4 demi-journées, essentiellement pour faire patienter les clients qui, avaient commandé leur râmen, mais qui devaient patienter environ 20 mn avant que les clients précédents cèdent leur place pour pouvoir à leur tour consommer leur râmen « made in Japan » !
Pour les faire patienter, deux artisans japonais réalisaient devant eux les nouilles râmen et je devais expliquer ce qu’ils faisaient et transmettre les nombreuses questions du public, puis les réponses des artisans, en traduisant du français vers le japonais, puis vice versa.
De cette expérience, ces quelques anecdotes me sont soudain revenues en mémoire !
Le travail "à la japonaise"
Chaque journée commençait « à la japonaise », soit un temps avec l’ensemble de l'équipe : Français et Japonais, organisateurs, managers et chefs Japonais, le personnel d'accueil, de service et des cuisines.
Tous en cercle, la réunion de cohésion commençait par un temps de bilan de la journée précédente, une félicitation pour le travail effectué, puis le rappel des objectifs pour la journée à venir, les points de vigilance et les demandes spécifiques éventuelles.
Avant de nous séparer, nous nous voyions remerciés pour nos efforts à venir par le manager et nous nous applaudissions mutuellement tous ensemble !
Ainsi, chacun d’entre nous pouvait se sentir appartenir à une même équipe, au-delà de nos fonctions et de nos nationalités différentes !
La fabrication des râmen
Les râmen, vous connaissez ? Ces nouilles japonaises, longues et fines, qui se dégustent dans un bouillon, agrémentées de différents ingrédients. A prime abord, ce ne sont que des pâtes, mais c’est bien davantage !!
Tout d'abord, que de temps faut-il pour les confectionner, avant même de les accomoder !
C’est ce que ce travail auprès des artisans japonais m’a appris !
Chaque journée, en effet, les deux artisans, de plus de 50-60 ans, préparaient manuellement la pâte pour confectionner la quantité de râmen nécessaires pour servir le lendemain, soit plus de 200-250 portions !
A l’instar d’un boulanger, ils commençaient en mélangeant les différents ingrédients : farine de blé, eau, sel et kansui (un type d'eau minérale alcaline, contenant du carbonate de sodium et de potassium, ainsi que, parfois, une petite quantité d'acide phosphorique). Allez déjà comprendre le terme japonais « kansui » - d’autant que cela n’existe pas chez nous - avant de le traduire en français !!
Egalement, quand cela n’est pas votre spécialité, comment expliquer aux Japonais les fréquentes questions du public français, parmi lesquels de nombreux connaisseurs et des professionnelst, quand ils demandaient « la farine utilisée, c'est quel numéro ? »
J’ai ainsi appris qu’il existe une classification de farine de type « T + un chiffre » !
Un temps de repos de la pâte était ensuite nécessaire.
Le plus impressionnant consistait ensuite, dans l’étape suivante : le pétrissage de la pâte. Comme pour la pâte à pain, les artisans passaient ensuite un temps plus qu’important à pétrir, puis repétrir la pâte, essentiellement en la foulant aux pieds à la manière des vendangeurs, un nombre incalculable de fois !!
Un second temps de repos de la pâte était ensuite nécessaire.
Finalement, les artisans préparaient la pâte pour les râmen du jour, la veille pour le lendemain, l’après-midi, pour profiter de la nuit pour laisser reposer la pâte.
Le matin du jour suivant, ils utilisaient cette pâte préparée la veille, à partir de laquelle, ils l’étalaient encore et encore, avant de prélever de petites quantités, correspondantes à une portion pour une personne. Cette étape, très longue et nécessitant un nombre impressionnant de renouvellement d’une même opération - étirement de la pâte puis partage - était impressionnante et nécessitait une concentration de la part des deux Japonais !
Les petites portions de pâtes prélevées, rassemblées en petits paquets de pâtes, de nouveau il fallait ensuite les étaler en longueur, puis tailler les longues nouilles fines, pour qu’elles cuisent et prennent bien le goût du bouillon dans lequel elles seront servies.
Jamais je n’aurais pensé qu’avant d’obtenir ces nouilles, cela nécessitait autant de temps et d’énergie !
Tous les jours, ces deux artisans ont ainsi réalisé la quantité de râmen pour la journée, soit au total plus de 1000 portions sur la semaine ! Tout cela, devant les clients, qui leur posaient tout un tas de questions, auxquelles ils répondaient volontiers ; mais que d’efforts j’ai dû déployer avant de comprendre même déjà certaines questions, pourtant en français, avant d’essayer de les leur transmettre avec mon pauvre japonais … Puis de faire le chemin dans l’autre sens, du japonais vers le français. Heureusement, parmi le public, des spécialistes et des personnes bilingues m’aidaient avec plaisir, dans cette même ambiance de vouloir partager une passion commune !
Un homme qui aime le sucre ?!
Ainsi, peu à peu, un lien s’était tissé entre les deux artisans et moi.
Souvent, ils me regardaient avec de grands yeux, pour essayer de comprendre mon japonais qui était pour eux étrange, comme pour comprendre certaines questions inattendues de la part du public français.
Heureusement, bien que des artisans japonais masculins d’un certain âge, dont la spécialité était traditionnelle, ils devaient avoir l’habitude de la relation avec des étrangers occidentaux.
Comme s’ils étaient dans leur monde « portatif », ils contribuaient à l’échanger, volontiers et aimablement, mais tout en restant « de leur côté ».
Parfois, je les faisais bien rire ; notamment une fois après que je leur avais appris que je mangeais des viennoiseries ou du pain avec de la confiture au petit-déjeuner, trempés dans un café ! C’était impensable pour eux, que de manger autant de sucre, surtout pour un homme !!
Le bouillon, quelle saveur !
Quand fut venu leur jour de préparer leur bouillon, en plus que des nouilles, ils me firent un grand plaisir, en m’invitant à descendre en cuisine déguster leur préparation !!
Chacun des 5 chefs invités était en effet venu du Japon, pour faire découvrir aux Parisiens leur propre recette de bouillon des râmen.
Pour ce faire, ils avaient apporté, outre les ingrédients, nombre de leurs ustensiles de cuisine ; il y en avait !! Cela expliquait que l’un des sponsors de l’opération était le gouvernement japonais lui-même, via un ministère car cela devait avoir été plus qu’onéreux de transporter tout ce poids !
Dans cette grande cuisine en sous-sol du restaurant, encombrée de matériels, de caisses de produits japonais et d’assistants venus du Japon, les artisans avaient dégagé une petite place près des réserves au fond de la cuisine, où, assis sur un banc en plastique, j’avais dégusté les râmen les plus délicieux de ma vie !!
Déjà, le goût des nouilles faites maison, au goût de blé bien marqué ! Et ce bouillon !! Autant de finesse et de saveurs différentes qui s’en dégageaient ! Aucun rapport avec les nouilles instantanées achetées dans les supermarchés ni même avec les restaurants spécialisés du quartier japonais de l’Opéra !
Je garde en mémoire gustative, même plus de dix années plus tard, cette force de la saveur du bouillon, née de l’assemblable des différents ingrédients nécessaires à sa préparation.
Immédiatement, j’avais senti combien ce bouillon était bon pour le corps, sain et riche en nutriments ! Au-delà d’un seul bouillon, une soupe insipide à devoir boire jusqu’à la fin pour ne pas gaspiller, ce bouillon-là était le cœur du plat, revigorant ; un véritable apport d’énergie et de nutriments pour me doper tout entier ; autant mon organisme que mon cœur !
Je comprenais à présent pourquoi toute cette équipe japonaise et plus généralement les Japonais attachent autant d’importance au râmen ! C’est en effet bien au-delà que de simples nouilles baignant dans une soupe.
Je comprenais également le soin mis à les confectionner et l’importance des nouilles, en les sentant glisser dans ma bouche, toutes imprégnées du bouillon ! Cette association des goûts différents quand je les mâchais avant de les avaler, quel délice !
Moi qui n’avais jusqu'à présent jamais vraiment accordé d’importance aux nouilles !!
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