Marie (élève en cours de japonais et en cours de calligraphie chez Quartier Japon depuis février 2014) nous explique tout d'abord comment se déroulent les cours, avant de nous faire partager son expérience plus intime de la pratique de la calligraphie.
A notre arrivée, Ayano (le professeur de calligraphie) a préparé les tables avec les pierres, les protections noires, les encriers et l'encre. Chacun vient chercher son pinceau ou sort son propre matériel s'il l'a.
- Les débutants, s'il y en a, se placent devant ; sinon, le placement est libre. Les "anciens" commencent à s'entraîner en autonomie (révision de l'appui en forme de larme, des traits vus la dernière fois...).
- Ayano nous distribue à chacun un kanji (ou une combinaison de kanji pour les plus avancés) que nous travaillerons. Ce kanji est choisi selon une progression établie par elle. Il peut arriver parfois que nous retravaillions deux fois de suite le même kanji s'il est difficile ou nous pose problème ; nous pouvons aussi le demander.
Parfois, Ayano nous demande si nous souhaitons revoir ce que nous avons commencé la dernière fois ou avancer (en particulier si nous sommes un peu restés bloqués sur un kanji). Il arrive aussi que ce soit "simplement" un nouveau trait nécessaire à l'élaboration des kanji suivants (par exemple "migi barai" pour moi récemment). Dans tous les cas, Ayano nous explique les étapes principales de ce trait ou de ce kanji, les difficultés dont il faut tenir compte.
Je sais que ces kanjis et traits suivent aussi la progression des feuilles "mode d'emploi" qu'elle nous donne (feuilles où se trouvent expliqués les principaux traits et les kanjis avec des dessins pour montrer le lien entre le kanji et l'objet) mais je ne sais pas d'où viennent ces feuilles.
--> Dans un premier temps, nous travaillons des kanji en style "carré" au gros pinceau, puis des hiragana sur page entière (par exemple "sushi"), puis, je crois, du travail au petit pinceau pour apprendre à signer, puis les plus avancés (deux ou trois personnes seulement) alternent entre style carré et style cursif plus rond, parfois sur le même kanji, successivement exécuté des deux manières. Je n'ai pas dépassé le niveau des kanji carrés, troisième feuille, donc, pour les autres stades, c'est moins clair, parce que je l'ai seulement vu chez les autres.
- Nous travaillons ensuite en autonomie, sur papier journal puis sur papier de calligraphie ou papier blanc selon le choix de chacun (Ayano nous encourage cependant tous à faire des essais sur "vrai papier" de calligraphie régulièrement).
- Ceux qui en sont capables signent leurs oeuvres, souvent après avis d'Ayano qui indique les plus réussies, celles qui peuvent être signées. Ils alternent donc petit et gros pinceau.
- Au bout de deux heures environ, pause-thé.
- Quand nous en éprouvons le besoin, nous lui présentons notre travail, soit pour qu'elle évalue nos progrès, soit parce qu'on est bloqué sur une étape. Nous discutons ensemble ; parfois, elle prend notre main pour refaire avec nous le trait compliqué.
- Si nous ne lui présentons pas notre travail, elle passe de temps à autre voir où nous en sommes (ceci dans l'optique où elle n'a pas de débutants, sinon elle est occupée à les former).
- 10-15 minutes avant la fin, chacun s'occupe de laver pinceau et encrier et de nettoyer les éventuelles taches sur la table. Chacun range son plan de travail. Catherine et moi aidons ensuite Ayano à finir de ranger et à vider la poubelle.
Marie nous fait part de son expérience de la calligraphie, à l'occasion de sa participation à l'un de nos ateliers d'été de création japonaise, en juillet 2016, comprenant une partie consacrée à la calligraphie. Mon moment préféré : calligraphie. Je sors mon matériel pendant l'introduction générale ; j'écoute mais, comme je connais un peu, je commence à m'entraîner sur du journal. Moment drôle quand j'explique que je préfère protéger l'ensemble de la table avec du journal et que Mariko, un peu surprise, objecte que les enfants avec qui elle pratique n'en ont pas besoin. Nous protégeons toutefois tous nos tables, par sécurité ; c'est bien entendu ce jour-là que mon journal sera impeccable, sans aucune tache (normal). Nous nous entraînons directement sur papier japonais : d'abord l'appui en forme de goutte, puis la ligne horizontale, puis verticale, puis la courbe sur le côté.
Mariko a dessiné au tableau l'ordre des traits pour le kanji choisi : hoshi (étoile). En plus de l'adaptation aux circonstances (la fête des étoiles), ce kanji me semble très bien choisi : il est spectaculaire mais, vu qu'il est composé essentiellement de lignes horizontales et verticales, peut-être plus accessible aux débutants.
Très rapidement, l'état d'esprit si particulier et propre à la calligraphie m'envahit : je me tiens plus droite, mes pieds sont posés sur le sol, bien enracinés mais sans tension, mes épaules plus relâchées. Je fais quelques mouvements quand je sens une légère crispation : sans égoïsme, la calligraphie invite cependant à se recentrer sur soi. Je suis également amenée à m'interroger : qu'est-ce que je veux dire avec cette étoile ?
Des souvenirs heureux me reviennent, je constate une fois encore à quel point la calligraphie est à la fois un exercice très guidé ET un moment d'expression personnelle au plus près de soi, dans une obligatoire sincérité. Comme les samedis où je pratique, je pense à la légèreté ; si le trait n'est pas assez appuyé, il est trop fin, comme haché, vraiment pas agréable à regarder. Mais, en voulant être sûre, bien appuyer, j'arrive à un trait là aussi haché, avec des brisures, voire je peine à décoller mon pinceau ! Et une fois encore je me dis que c'est une leçon de vie pour moi qui ai tendance à zigzaguer parfois entre ces deux extrêmes (légèreté et gravité), et je me dis aussi que je n'ai pas encore trouvé la véritable réponse.
Malgré tout, un grand calme m'envahit, je suis centrée, en harmonie avec moi-même, et à peine surprise quand Mariko explique que l'odeur de l'encre de Chine est faite pour détendre le calligraphe (j'ai toujours aimé cette odeur...)!
Leçon à nouveau : après une première calligraphie qui me satisfait plutôt, je suis un peu moins concentrée et rate mes deux essais suivants ! Ce n'est pas grave, je recommence, en pensant au premier trait sur le papier, décisif pour le résultat, un peu comme l'état d'esprit avec lequel on aborde chaque événement. Pour la première fois, je tiens un petit pinceau pour signer : surprise, je n'arrive pas à écrire petit, ma signature est énorme !
Passé le sourire devant le ratage de mes premiers essais, je comprends que là aussi il y a un enseignement à découvrir, à comprendre : dans une réalisation, quelle est la place de notre individualité et celle de ce qui n'est pas nous ? Je regarde le modèle donné par Mariko : la signature ne disparaît pas, elle est assurée mais à sa place, laissant les "feux de la rampe" au kanji réalisé. Ou peut-être l'oeuvre est-elle l'union des deux?
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